Dans le domaine du yoga, le souffle porte un nom : prāṇa. Derrière ce terme, on entend le souffle comme énergie vitale, celle bien sûr qui anime tout le vivant, mais qui imprègne aussi tout l’univers manifesté : les montagnes et les roches, l’eau, la terre… absolument tout, à commencer donc par notre corps.
Parfois assimilé à l’air, prāṇa est cependant au-delà de l’élément qui nous entoure : « Qu’est-ce que Prāṇa ?… (…) Prāṇa n’est pas l’air, mais cela en l’absence de quoi aucune nourriture ne peut pénétrer dans le corps, aucun air ne peut être inspiré et expiré par l’organisme et aucun mouvement n’est possible. (…) De même que les rayons du soleil apportent la lumière au monde entier, Prāṇa apporte la vie à toutes les particules du corps. Comme l’Esprit, le Temps et l’Espace, il est invisible » (Krishnamacharya, père du yoga moderne, mort en 1989).
Je me souviens d’une anecdote signifiante : une amie me raconte que lors d’une consultation avec un médecin et yoga thérapeute indien, celui-ci l’observe respirer et lui dit en désignant le haut de la poitrine, « Pas de prāṇa, pas de prāṇa ». Bien sûr, cette amie « respirait », elle n’était pas morte ! Ce que le médecin voulait dire, c’est qu’il n’y avait aucune énergie vitale, aucun échange intérieur/extérieur. Mon amie était en effet épuisée, depuis un bon moment. Il lui donna une pratique de yoga qui visait à restaurer sa capacité respiratoire, et plus subtilement à « réguler le prāṇa » en soi.
La respiration est l’expression de Prāṇa. Grâce à Prāṇa, nous sommes en vie, nous sommes capables de mener nos activités, de travailler, de penser, de bouger… pra signifie « partout » et ana, ce qui est de l’ordre de l’atome : prāṇa est partout dans l’univers et en chacun de nous.
Les vāyu, ou cinq souffles
Avec une majuscule (une convention, car le sanskrit ne connaît pas les majuscules), Prāṇa renvoie à l’énergie universelle, le souffle cosmique, et avec une minuscule prāṇa désigne sa traduction corporelle, un des cinq souffles-énergie du corps humain, les vāyu. Les cinq « souffles » transmettent la vie vers les différentes fonctions du corps : prāṇa est l’énergie inspiratoire, apāna, l’énergie d’expiration et d’élimination (excrétion, menstruations, accouchements), samāna, l’énergie d’assimilation (digestion), udāna, l’énergie d’élévation et d’expression vocale, vyāna, l’énergie des circulations intérieures (sanguine, entre autres).
Lorsque les vāyu fonctionnent bien, sont bien répartis, l’état résultant s’appelle sama, un état d’équilibre et de bonne santé. Lorsqu’un élève est en situation d’écouter le maître en classe, c’est udāṇa qui prime, entièrement mobilisé pour se consacrer à l’activité d’écouter, de poser des questions, etc. Après un repas, c’est samāna qui prend le dessus. Quand une personne fait de la course à pied, c’est vyāṇa qui prime alors. Cet état, en constante adaptation aux activités, est appelé sama. Chaque geste, chaque pensée, chaque acte qui nous meut est mu par les vāyu.
À l’inverse, un blocage d’un de ces cinq souffles a comme conséquences des désagréments multiples, voire la maladie.
Quand il y a des problèmes psychologiques, cardiaques ou respiratoires, le travail se fera sur la zone de prāṇa pour l’ouvrir (dans la poitrine) ; pour remédier à des problèmes de cycles menstruels ou de constipation, on travaillera sur la zone d’apāṇa (dans le bas ventre) ; pour des problèmes de digestion, de paresse intestinale, de ballonnements, on travaillera sur samāna (situé autour de l’estomac); pour les problèmes d’acouphènes, ce sera la zone d’udāṇa (dans la gorge) ; enfin, pour des problèmes de jambes gonflées, de perte de sensations dans les extrémités, de fourmillements, on travaillera sur vyāṇa (situé dans tout le corps).

Prāṇāyāma, l’art du souffle
Revenons à prāṇa, qui désigne aussi génériquement le souffle : prāṇāyāma désigne l’ensemble des techniques visant à « réguler » (āyāma) la respiration, ou plutôt les deux « souffles respiratoires » que sont prāṇa « l’énergie inspiratoire » et apāna « l’énergie expiratoire ». Ce sont les deux seuls vāyu qui ne sont pas seulement automatiques, mais qui peuvent aussi devenir volontaires. On ne peut en effet agir directement sur la digestion, l’assimilation, la circulation. C’est pourquoi on régule la respiration (prāṇāyāma), puisque cela est possible, en espérant ainsi agir sur le corps entier.
Le yoga n’est pas une affaire de muscles, mais de respiration : dès que l’on perd l’attention au souffle, on s’éloigne du yoga. Le yoga est ainsi la totale attention portée à la respiration. Si elle est si importante c’est que nous sommes animés et vivants grâce au souffle.
Sans le souffle, nous sommes morts. Le souffle nous « anime » au sens propre : il nous meut et nous donne âme, mot dont l’origine est le latin anima, « souffle, air ». Ce n’est pas seulement que nous respirons, c’est que nous sommes le souffle. Pour avoir un corps et un esprit plus solides, le yoga propose de travailler sur la respiration, en lien avec le mouvement (dans les postures) et en position stable et immobile (dans les exercices respiratoires).
En optimisant notre capacité à respirer, nous renforçons le corps, nous apaisons le mental et pouvons accéder à la réalité de l’âme. Si l’on veut aller sur un plan plus élevé, le travail sur la respiration est indispensable et les « techniques » de méditation intègrent un travail sur le souffle.

Les qualités du souffle et les bénéfices du travail respiratoire
Pour des raisons physiologiques, mentales, émotionnelles, énergétiques, le yoga propose de passer d’une respiration automatique et souvent problématique à une respiration ample et subtile, consciente des lieux respiratoires du corps qui sont impliqués : celui de l’activité de l’expiration, celui où est perçu l’effet de détente procuré par l’expiration, celui de l’activité de l’inspiration, celui où est perçu l’effet de détente procuré par l’inspiration. En plus des lieux de la respiration, un travail peut être fait sur la durée des quatre phases respiratoires (expiration, arrêt, inspiration, arrêt) et les répétitions du rythme pratiqué, ce travail ayant comme finalité un mental centré, et l’éveil de la sensibilité intérieure. La respiration ouvre à l’intériorité.
Le souffle en pratique…
Concrètement, le yoga invite à :
- Allonger la respiration, inspiration et/ou expiration selon les besoins (l’inspiration ne devant jamais être plus longue que l’expiration) : en allant au moins jusqu’à 6 secondes d’inspir et d’expir (voire plus pour les pratiquants avancés), l’objectif étant de réduire le nombre de respirations ;
- Simultanément, affiner le souffle, le rendre subtil, parfois à peine perceptible. Ainsi avec la respiration ujjāyī (qui signifie « victorieuse »), qui se pratique par le nez, l’air est freiné par une légère constriction de la glotte, générant un léger bruit de cheminée, permettant de réguler le débit d’air, de l’homogénéiser et d’en avoir une résonance intérieure qui oriente et calme le mental ;
- Expérimenter quatre phases respiratoires, qui sont d’ailleurs complètement spontanées, avant d’être régulées : inspiration, rétention poumons pleins, expiration, rétention poumons, chaque phase ayant des bénéfices propres, les rétentions améliorant les effets des deux autres ;
- Et pour les plus avancés, pratiquer différentes respirations, appelées aussi prāṇāyāma, parmi lesquelles : ujjāyī et toutes les pratiques l’intégrant (anuloma, viloma, pratiloma ujjāyī), la respiration alternée par les deux narines (nāḍī śodhana), et celles par une seule narine (droite ou gauche, selon l’effet qu’on veut obtenir, stimulation ou apaisement), la respiration rafraîchissante (śitali) ou réchauffante (kapālabhātī), etc. Ujjāyī apporte beaucoup de bénéfices physiques, physiologiques, nerveux et psycho-émotionnels, dont l’un des plus flagrants est la très mobilité du diaphragme.
Les techniques respiratoires ont des effets puissants et doivent être apprises, expérimentées et conduites sous la supervision d’un professeur sérieusement formé, attentif aux besoins et aux capacités du pratiquant.Complétant une alimentation saine et savoureuse, apportant tout ce dont le corps a besoin pour se construire et de ressourcer, une bonne respiration, un souffle long, subtil et ralenti est le chemin pour respirer la santé !