Le mot sanskrit : āsana

Āsana : posture, assise, être, Être…

Vous avez remarqué que très souvent les noms des postures se terminent par āsana : śavasāna, apanāsana, trikonāsana, tadāsana, etc. Āsana peut être traduit par « posture » et les noms des postures indiquées par « posture du cadavre », « posture de l’élimination », « posture du triangle », « posture du palmier ». Je reviendrai dans un autre article sur ce qu’est une « posture » en yoga… dans cet article, je m’intéresse au mot et à la signification qu’il recouvre.


Pris au pluriel, le mot désigne les postures, dans leur diversité formelle et surtout fonctionnelle, et avec leurs deux qualités communes, la fermeté et le confort, l’attention et la commodité, l’aisance et la stabilité (il y a beaucoup de couples de mots possibles !), à la fois au plan physique et mental.

Au singulier, le mot désigne le travail postural dont les trois données fondamentales que rappelle Michel Alibert, formateur de yoga, sont : les appuis au sol, les directions d’orientation (des membres) dans l’espace et la respiration. Ce travail postural est intégré comme un des membres du « yoga aux huit membres » de Patañjali [je vous en reparlerai].

Le mot provient d’une racine ĀS, qui veut dire « être assis », « s’asseoir », et āsana signifie « siège », « fait de s’asseoir ou d’être assis », « mode de s’asseoir », « campement, situation, place ». Au-delà de la diversité des postures, le travail postural, c’est-à-dire la pratique d’āsanacible la posture assise (afin de rester longtemps et confortablement en assise silencieuse). La posture assise est intéressante : c’est une des trois attitudes humaines possibles (assis, couché, debout) et elle combine la passivité de la position allongée et l’activité de la position debout (même immobile), comme le souligne Pierre Alais dans dans Le Journal de l’IFY consacré à āsana (2019).

« L’āsana est une assise ferme, stable, présente et souple, libérée des tensions et autres perturbations physiques », selon Denis Faïck dans la même revue.

sage méditant en assise
Ascète méditant
École mongole, XVIIIe siècle

Cette racine sanskrite est utilisée aussi avec le sens d’« être », « exister », « habiter », « ce qui n’est pas rien », dit Peter Hersnack, un formateur, élève de Desikachar. Il ajoute : « Toutes les āsanas servent notre être au monde, elles nous inscrivent dans l’espace et elles inscrivent l’espace en nous. La posture assise est par excellence la posture pour “être là” ». Être là, présent, au sens bien sûr de « se trouver là, dans ce lieu précis » mais aussi « être tout entier à ce qu’on fait ou à ce qui se passe », « être particulièrement attentif » ou, je préfère, « être en état d’attention ». La pratique du yoga – persévérante, durable, continue – se dit abhyāsa, le mouvement (abhi) vers l’Être (ās).

Āsana, c’est donc plus qu’un mouvement que nous exécutons, ou une posture que nous prenons : le souffle et l’esprit sont impliqués au même titre que le corps. On peut alors découvrir dans la pratique des postures une pratique qui nous amène à un « bien Être », qui nous (re)met dans notre assiette. Le mot assiette vient d’ailleurs d’une forme du verbe asseoir et désigne – avant la pièce de vaisselle incontournable dans la culture occidentale ! – la « façon d’être assis », l’« état, la position stable » (pensez à la stabilité et l’équilibre du cavalier sur sa selle), l’état ordinaire de l’esprit (« Me revoilà à peu près dans mon assiette ! » dit Flaubert dans sa correspondance, après avoir travaillé de longues, de quoi lui mettre la tête à l’envers)… jusqu’à l’assiette de l’impôt, qui en désigne la « base » !

sage méditant la tête en bas
Ascète pratiquant le tapas Inde du Sud, vers 1820

Le travail d’āsana – quelles que soient les postures, des plus acrobatiques aux plus simples – consiste bien à trouver son assiette, à être stable, équilibré, sur sa base, trouver son assise intérieure, être d’aplomb. Avec la stabilité du corps, nous nous entraînons aussi à la stabilité de l’attention et au confort ; et au fur et à mesure que nous développons ces qualités en nous, nous pouvons les transférer dans nos activités quotidiennes, nous pouvons apprendre à devenir moins fragiles, plus résistants, plus « ancrés » comme on dit maintenant.

« La vraie posture, c’est la stabilité dans le Soi ou l’Être », Sri Ramana Maharshi.